Debout-Payé, GAUZ

« 14 Juillet (3). Le plus étonnant ne se trouve pas dans la parade de tous ces engins de mort. Le plus étonnant est dans ce public qui l’applaudit. »

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Armand Patrick Gbaka-Brédé, alias GAUZ, nous offre ici un roman étonnant et… détonant !
Rendez-vous dans les grandes enseignes de parfumeries et autres commerces sur les Champs Elysées et à la Bastille.
Le narrateur est fils et petit fils de vigile. Une longue lignée de surveillants, de Debout-Payés. Un métier qui consiste à donner une impression de sécurité, qui semble exclusivement réservé aux noirs à Paris parce qu’ils ont le physique pour ça. Parce qu’ils font peur.

Mais derrière cette carapace qu’on croise sans vraiment regarder se cache un homme. Un homme qui vit debout pour toucher un SMIC, quand il a des papiers et qu’on décide de le payer. On retrace l’histoire des années soixante, avec l’arrivée d’un borgne au gouvernement, jusqu’à l’événement mondial du 11 Septembre qui a bouleverser l’Amérique, mais aussi les quatre autres continents.
Pour retracer cette période de l’histoire, l’auteur nous propose trois époques mythiques : l’âge de bronze, l’âge d’or, et l’âge de plomb. On y voit très clairement une évolution, ou un effondrement des relations France-Afrique, on y sent tous les préjugés, on y croise tous les clichés, du patron qui ne voit que son capital au client simple passant ou à tendance cleptomane…

Derrière un vigile se cache une histoire, une culture et une philosophie. GAUZ nous donne un échantillon, sous forme d’interludes, de pauses, de ce qu’il a pu voir, entendre, et même sentir pendant ses heures de travail.
On y trouve ainsi des pensées, ou des constat de cet acabit :

« RADIO CAMAIEU. C’est la musique difusée à longueur de journée dans le magasin. Avec Radio Camaïeu, en moyenne sur 10 chansons, 7 sont chantées par des femmes, 2 en duo avec un homme, une seule par un homme. A raison de 3 minutes par chansons, soit 20 chansons à l’heure, le vigile tourne à 120 horreurs sonores en 6 heures de vacation. La pause est une grande avancée syndicale. »

On retrouve ici les thèmes chers à GAUZ, lui-même ancien vigile et homme engagé qui s’est battu pour des valeurs comme l’internet libre en Afrique ou consultant à l’OIF.

Nous retrouvons un peu plus loin dans le livre une pensée pour le moins intrigante. L’analyse n’est pas nécessaire, la phrase parle d’elle-même et le ton caustique de l’auteur nous enchante une fois encore :

« TATOUAGES. Sur le cou, son tatouage aux traits fins et précis représente un lotus qui a le même graphisme que « Lotus », la marque de papier hygiénique. Avec sa peau très pâle, c’est un peu comme si elle avait un rouleau de PQ coincé entre la tête et les épaules. »

Mais comme je vous l’ai dit, au-delà de ces passages qui prêtent à sourire tout en se demandant qui ont est par rapport à ces gens-là, GAUZ propose un réel arrêt sur image sur la société française et humaine. C’est une vision à la fois noire et pleine de compassion pour ces pauvres gens que nous sommes. Pour ces pauvres gens qui pensent qu’un vigile ne peut pas connaître le cinéma ou la littérature.
Nous entrons dans une fiction qui n’en est plus une quand le livre se ferme. Nous voyons l’humanité à travers les soldes, la crise et la crainte. Et si tout s’embriquait pour ne former plus qu’un seul bloc ? Et si le problème venait de l’argent, des actionnaires, du capitalisme et de toutes ces boutiques pour riches où une femme se maquille sous son voile avec dans la main un parfum de marque Givenchy qui hurle « Soyons réaliste, demandons l’impossible ».

Dans un monde où tout est contrôlé, où l’achat n’est plus volontaire mais déclenché, où on ne choisit plus mais où on choisit pour nous, GAUZ nous peint une société qui ne cesse de consommer. Une société qui a peur de repartir à l’âge de pierre, une société qui culpabilise d’être… Ou de ne pas être.

Avec une écriture poignante, des thèmes forts et empreints dans une ambiance palpable, GAUZ nous donne la définition du mot Absurde que déjà, au XIXe siècle, Alfred JARRY employait.

Politique, fric, nouvelles technologies, tout y passe. De la jeune qui fait un selfie dans un magasin de fringues pour se voir alors qu’un miroir taille humaine se trouve juste à côté d’elle à l’homme en costard cravate avec un sac à dos et un sac bandoulière qui semble bien parti pour taper un sprint s’il se fait choper… Personne n’est épargné. Et c’est comme cela qu’on arrive à une conclusion qui laisse à réfléchir, et qui nous dit tout simplement :

« DILUTION PIGMENTAIRE. Plus on s’éloigne de Paris, plus la peau des vigiles éclaircit vers le beur. En province, loin, loin dans la France profonde, il y a même des endroits où il paraît qu’il y a des vigiles blancs. »

Prenez ce livre, ne  le lâchez pas. Suivez GAUZ et ses anciens à travers les générations et la vie française dans les grandes boutiques de Paris. Prenez la clé de cet appartement de 16m carré qui semble être un vrai bonheur, mais surtout, n’oubliez pas vos papiers… Sinon, cachez-vous.

Ouvrage disponible aux éditions du Nouvel Attila à partir du 28 Août 2014. 

Le Nouvel Attila est également l’éditeur du magnifique Aujourd’hui l’abîme de Jérôme BACCELLI dans lequel certains sujets se croisent avec l’ouvrage de GAUZ. A bon entendeur !

À propos de Antoine

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