Encore, Hakan GUNDAY

« La différence entre l’Orient et l’Occident, c’est la Turquie. Nous, c’était là que nous vivions. Cela voulait-il dire que notre pays est un vieux pont entre l’Orient aux pieds nus et l’Occident bien chaussé, sur lequel passe tout ce qui est illégal ? Tout cela me chiffonnait. Et en particulier ces gens que l’on appelle les clandestins… Nous faisions tout notre possible pour qu’ils ne nous restent pas en travers du gosier. Nous avalions notre salive et nous expédions tout le contingent là où il voulait aller… Commerce d’une frontière à l’autre… D’un mur à l’autre. »

Encore

 

C’est ainsi que se résume l’histoire de Gaza, neuf ans, qui vit au bord de la mer Egée. Son père aide les clandestins (surtout Afghans) a traversé la frontière Turque direction la Grèce.

Dans la première parti du livre, alors que Gaza aide depuis déjà longtemps son père, il va se retrouver confronter à la mort dés son plus jeune âge. Lorsqu’il grandira, il va avoir des responsabilités dans le business sale de son père : il aura la garde de la citerne dans laquelle les clandestins sont enfermés; parfois deux jours; parfois deux mois.
L’idée d’installer alors des caméras et un micro pour lui éviter d’aller ouvrir la cage retenant prisonnier les Afghans afin de se rendre compte des dégâts va changer sa vie. Il va rapidement prendre ses aises avec cette technologie le rendant comparable à Dieu, et va alors étudier le cas des clandestins, comme s’ils étaient des rats de laboratoire.

La seconde partie supporte une autre forme de claustrophobie. Enfermé dans l’esprit malade de Gaza, le lecteur évolue avec lui, dans sa folie, dans ses tripes, dans ses délires les plus fous.

« Puisque tout le monde était mort autour de moi, j’allais mourir moi aussi. Je pouvais utiliser mes briquets pour me détruire par le feu. J’allais nous faire tous brûler, en enflammant ceux qui m’entouraient. J’étais assez aveuglé pour croire que j’y parviendrais. Je tirai le paquet de cigarettes qui se trouvait dans ma poche, mais j’étais trop lâche pour passer à l’acte. Je n’avais pas peur de mourir, j’avais peur de brûler. »

Hakan GUNDAY m’a absolument régalé avec ce roman criant d’actualités malgré lui. Ecris il y a déjà deux ans, l’auteur pointe dans le mille les questions qui nous hantent tous tous les jours.
Le roman se compose de questions essentielles sur la liberté humaine, sur les droits, sur la manipulation et la dictature, mais aussi, du fait, sur la démocratie. Comme dans tous ses romans, les fantômes sont très présents et construisent le chemin de fer de ses textes. Entre mysticisme concret et réalité la frontière est faible. Mais les fantômes de Hakan GUNDAY ne sont pas ceux qui hantent les vieilles maisons construites sur un cimetière, ce sont ceux qui permettent de comprendre, d’accepter, ou tout du moins d’essayer d’expliquer des faits présents et concrets.
Le lecteur n’a de cesse de se sentir retranché dans ses questionnements, d’évoluer dans un monde incompréhensible, le monde de Gaza, et de tant d’autres personnes confrontées chaque jour à ces problèmes du monde.

L’écriture est fluide, la passion est forte. L’auteur dénonce sans prendre de gants et augmente la conscience de chacun de ses lecteurs. Prenez le livre, lisez la première phrase, et nous nous retrouvons dans quelques heures, à la dernière page.

Sans aucun doute l’un des auteurs les plus importants de la scène littéraire actuelle.

 

Roman paru aux éditions Galaade en Septembre 2015. Traduit du Turc par Jean DESCAT.

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